Reportage photographique social à l’institut médico-éducatif (IME) de Pompignat (63) accueillant des enfants et adolescents atteints de troubles mentaux réalisé en 2010 et primé par le prix du reportage par la société d’éclairage Profoto.
Que suis-je venue chercher ici ? Des cris déchirent le calme rassurant du lieu. Eclats de rire, silences, monologues interminables révélant des mondes tantôt effrayants, tantôt magiques, pleurs ou hystérie. «L’image est muette», pourtant c’est le son qui me reste en mémoire. Les regards, aussi.
Je m’immerge dans leurs mondes, tente de me rapprocher d’eux au plus près tout en gardant une distance nécessaire. «Pourquoi faîtes-vous des photos ? Qui êtes-vous ?» La question revient sans cesse et me renvoit à la légitimité de mon projet. Je ne suis ni éducatrice, ni membre de la famille. Trop jeune pour représenter l’autorité, trop vieille pour qu’ils me considèrent comme l’une de leurs…
Je reste du matin au soir, j’ai voulu voir. J’en vois trop. Je range mon appareil, cherchant quelques minutes de calme pour rassembler mon énergie. Entre empathie et fuite, j’essaie de me concentrer sur la photographie en m’oubliant. S’intéresser à la «folie» c’est chercher une part de soi, une part sombre. L’autre est notre miroir. Leur extrême sensibilité me touche et m’angoisse tout autant. Je n’avais pas prévu être tant destabilisée. Certains me rejettent violemment, d’autres s’attachent à moi de manière parfois envahissante. Tout est excès.
Vincent, Ibrahima, Norman, Samuel, Mohammed, Quentin, Gabriel, Dylan, Julie, Justine, Floriane… Je porte sur eux un regard neutre, sans les juger, m’intéressant peu à leur pathologie. J’ai rapidement compris que les termes psychiatriques sont vagues, que chaque enfant est différent. Educateurs, instituteurs, et personnel soignant les encadrent avec amour. Les liens crées sont forts. Le centre essaie d’apaiser leurs peurs.
Leur handicap ne se voit pas d’emblée dans mes photographies. Ils reçoivent des cours avec un instituteur, participent à de nombreuses activités, jouent à la récréation comme tous les enfants. Les signes sont dans les regards, les postures. Leur rapport au corps et à l’autre est complexe. J’ai essayé de saisir ces petits instants entre monde intérieur et relations aux autres. Je me refuse à être trop intrusive. Je ne photographie pas leurs «crises», je suis là, les écoute, ou m’éclipse sous les conseils des éducateurs.
Humainement, et photographiquement, cette expérience a été très riche. Le contact et le regard de ces jeunes adolescents m’a permis de reconsidérer mon monde.
Merci à vous ! Il s’agit d’un reportage assez ancien mais très important dans mon parcours de photographe.